mercredi 24 mars 2010

Le Chemin de La Mecque, de Muhammad Asad


« A lire, à relire et à offrir autour de soi ». Telle pourrait être la mention appliquée en lettres grasses sur la couverture de ce livre, à la manière de ces mentions « top secret » appliquées sur des documents ultra confidentiels. « Le chemin de La Mecque » de Muhammad Asad reste d’une brûlante actualité, et ce malgré l’ancienneté de son édition. Et c’est avec un regret sans fin que l’on achève un ouvrage que l’on souhaiterait infini.




D’emblée, il nous faut rendre un vibrant hommage à Roger Du Pasquier, traducteur depuis l’anglais du livre de Muhammad Asad. Car les émotions en ressortent intactes, les faits immensément bien rapportés, et le personnage magnifiquement cerné et portraituré. Autant d’éléments qui ne sont pas aisés à retranscrire d’une langue à l’autre, même si bien évidemment tout le mérite en revient d’abord à l’auteur initial, à savoir Muhammad Asad en personne.

Aventures

Vers la fin de l’ouvrage, sentant la fin de son périple arriver, Muhammad Asad, s’adressant à son fidèle compagnon Zayd, lui dit : « Ne te souviens-tu pas que l’eau doit se mouvoir et couler pour rester claire ? ». A ce moment du « chemin » de l’auteur, ce dernier souhaite quitter l’Arabie afin de découvrir d’autres horizons musulmans, en particulier ici la péninsule indo-pakistanaise. Pour en revenir à cette sentence prononcée, il est clair qu’elle s’applique magistralement bien à l’auteur. Dans Le chemin de La Mecque, l’évocation du moindre fait, du moindre personnage, de la moindre situation sont prétextes à la mention et au récit d’histoires vécues. Exécutant un retour en arrière mémoriel, Muhammad Asad nous rapportera ainsi ses pérégrinations à travers la Palestine, l’Arabie (soit en quête de spiritualité, soit en mission pour le roi Saoud), ou encore la Lybie, à la rencontre du grand résistant à l’occupation italienne, Umar al Mokhtar.

Succès considérable

Plongés dans les méandres de ces aventures extraordinaires, voire dangereuses, mais dont l’auteur en retire toujours les conclusions les plus pertinentes, le récit nous happe, nous saisit et nous entraîne dans un tourbillon d’émotions, de rencontres inattendues et de faits surprenants. Autant de situations exceptionnelles vécues par Muhammad Asad. D’ailleurs, le traducteur de l’ouvrage nous le rappelle dans son avant-propos : « Le chemin de La Mecque, livre dont le succès fut et demeure considérable dans les langues où il a déjà été publié et qui sont : l’anglais, l’allemand, le néerlandais, le suédois, l’arabe, le japonais, le serbo-croate, l’ourdou, le tamoul ».

Lucide

Proche de la famille royale saoudienne, et en particulier du roi Saoud, Muhammad Asad reste cependant lucide et n’épargne pas le souverain de ses critiques comme de ses louanges, lorsque celles-ci lui apparaissent méritées. Sonnant comme une conclusion à son ouvrage et à son parcours à travers l’Arabie, l’auteur écrira dans son chapitre XII intitulé « terme du chemin », à propos de la transformation qu’il commence à percevoir et qui va transformer le royaume saoudien, transformations qui le chagrinent : « Ce n’est pas à dire que les musulmans n’auraient pas beaucoup à apprendre de l’Occident […]. Mais l’acquisition de notions et de méthodes scientifiques n’est pas à proprement parler une « imitation », surtout dans le cas d’un peuple dont la foi ordonne de rechercher la connaissance partout où elle peut être trouvée ».Et les propos suivants, lus aujourd’hui, nous montrent combien l’auteur aura été visionnaire et aura su en son temps évaluer à leur juste mesure les changements naissants en Arabie. Ainsi, l’auteur écrit : « Si les musulmans gardent la tête froide et acceptent le progrès comme un moyen et non comme un but en soi, ils pourront non seulement préserver leur liberté intérieure, mais aussi, peut-être, transmettre à l’homme occidental le secret perdu de la douceur de vivre… »


Auteur : Muhammad Asad.
Titre : Le Chemin de La Mecque.
Edition : Fayard –Collection « La bibliothèque des voyageurs ».
Nombre de pages : 347.

Source: www.saphirnews.com

Note: 3/5

mardi 23 mars 2010

Le Soleil d’Allah Brille sur l’Occident de Sigrid Hunke








Au regard d’une actualité dénigrante du fait « arabe » et « musulman », il est essentiel de lire le merveilleux ouvrage d’une occidentale, Sigrid Hunke, qui relate, grâce à un récit fourni et vivant, les liens intrinsèques de l’Orient et de l’Occident à travers la formidable aventure humaine, scientifique et culturelle de la civilisation arabo-musulmane, à la lumière des immenses réalisations des savants musulmans. A la lecture du « soleil d’Allah brille sur l’Occident », on s’interroge finalement :

Christophe Colomb aurait-il redécouvert l’Amérique sans son astrolabe conçu et réalisé par les Arabes ? Les engins occidentaux auraient-ils atteint la planète Mars si, bien longtemps avant eux, des Arabes n’avaient cessé d’observer rigoureusement le ciel ? Dans la mesure où les progrès technologiques modernes s’inscrivent dans la longue chaîne des connaissances universelles, il est indéniable d’affirmer que les musulmans ont, à une époque, contribué à révéler de nouvelles découvertes scientifiques.

Sigrid Hunke rend hommage à ces inventeurs de génie, trop longtemps ignorés des manuels scolaires et aujourd’hui encore souvent réduits au rôle de simples traducteurs des textes des Anciens. Son livre, traduit de l’allemand par Solange et Georges de Lalène, allie la richesse d’informations d’une encyclopédie à un style clair et vivant qui rend sa lecture fluide comme un roman.

Au fil du texte, on comprend comment l’Islam invite à l’observation et l’analyse des phénomènes naturels, à la recherche intellectuelle, au progrès et à la science. La référence religieuse sert de moteur à la dynamique de la créativité humaine dans des domaines aussi variés que les sciences, la littérature ou l’architecture. A une époque où l’Eglise, de son côté, privilégie l’obscurantisme et l’élitisme, l’Islam parait d’une grande modernité.

On s’étonne de découvrir à quel point notre quotidien est agrémenté d’expressions arabes : le petit café du matin avec un peu de sucre, le verre de limonade dégusté sur le sofa ou sur le divan, la jaquette, la blouse, le jupon, ou encore le mohair, la cotonnade...sans compter le safran, l’estragon, la muscade...Grâce au commerce, les marchands arabes ont introduits en Europe les épices, le coton, les tissus, le papier (précieux support de la vie intellectuelle), ou encore la boussole ou les notions d’hygiène.

Et que dire des multiples apports scientifiques des arabes dans les domaines des mathématiques, de l’astronomie et de la médecine ? Pour le musulman, l’univers entier est la preuve de l’Unité de Dieu. Allah, dans le Coran, invite le croyant à observer le ciel, les étoiles et toute Sa Création. Il est alors naturel pour le fidèle d’explorer les sciences naturelles, astronomie, physique ou médecine.

Le génie des arabes est d’avoir su étudier et traduire les ouvrages des savants grecs, indiens ou chinois en les critiquant et en apportant de nouvelles conclusions. Ce n’est que par le biais des ouvrages arabes, traduits en latin, que l’occident, à partir de la Renaissance, pourra se lancer dans la grande aventure scientifique du monde moderne. Peut-on imaginer l’étude des mathématiques modernes, de l’algèbre, sans l’adoption de la numération décimale par l’humanité entière ? Déjà, bien avant Copernic, les arabes avaient émis l’hypothèse de la rotation de la terre autour du soleil, ils avaient établis des catalogues d’étoiles et construit des observatoires. Ils connaissaient les mécanismes de la circulation sanguine et avaient abordé les domaines de l’ophtalmologie, la psychiatrie, la chirurgie...dont les traités de la Renaissance se sont largement inspirés.

Comment de telles avancées ont-elles été possible ? Plusieurs paroles du Prophète de l’Islam nous renseignent : « L’étude de la science a la valeur du jeûne, l’enseignement de la science celle d’une prière », ou encore : « Quiconque part à la recherche de la science agit pour la cause de Dieu jusqu’à ce qu’il retourne chez lui ». Ainsi, la ferveur religieuse a engendré l’émulation intellectuelle. Dans tout le monde arabe, les enfants, garçons et filles, fréquentent l’école, les bibliothèques regorgent de manuscrits anciens prêts à être traduits. Le butin du vaincu se négocie en ouvrages et traités antiques ! Rien d’étonnant alors que certains princes occidentaux éclairés, en Sicile ou en Espagne aient été fascinés par le génie arabe, que des croisés ou de simples voyageurs aient adoptés le style de vie de ces arabes si raffinés. Ces monarques, ces pèlerins, ces marchands furent dès lors les vecteurs de transmission de l’immense savoir oriental vers la sphère occidentale.

On ne saurait étudier aujourd’hui l’histoire de l’Occident sans rendre compte de l’héritage de la brillante civilisation arabo-musulmane.

Nous laisserons à Sigrid Hunke le soin de conclure son magistral ouvrage par ces mots « La haine religieuse et l’intolérance ont toujours été les pires conseillères des peuples, leur fomentation l’ennemi de toute vie et de tout progrès. Que les peuples ne puissent, au contraire, atteindre leur plus grand épanouissement sans des échanges et une considération réciproque, sans l’ouverture de toutes leurs frontières et une amicale concurrence, voilà ce que ne manque pas de confirmer l’histoire étrange (marquée à la fois par la répulsion et l’attirance, l’hostilité et l’envoûtement) des relations entre le monde musulman et l’Occident, relations, qui en dépit de la méfiance et de la haine ont été pour l’univers un immense bienfait »

La france des mosquées de Xavier Ternisien


L'auteur est l'un des deux journalistes qui assurent encore une certaine présence du fait religieux dans le quotidien Le Monde. Les récentes contributions en font, en quelque sorte, un « Monsieur islam » soucieux de conduire des enquêtes de terrain concernant la seconde religion présente aujourd'hui en France, majoritaire dans certains quartiers et, pour ce qui est des « issus de l'islam », à ne pas confondre avec l'ensemble des musulmans croyants et pratiquants, majoritaire ou presque dans plusieurs villes au passé ou au présent industriel, Roubaix, Mulhouse, Montbéliard peut-être ? Devançant sans doute maintenant le protestantisme en Alsace ou dans une ville comme Nîmes.

Les douze chapitres du livre s'appuient sur les enquêtes de l'auteur et la lecture d'une série d'ouvrages mentionnés dans la bibliographie. On n'y cherchera pas (ce n'était pas le propos) les analyses qui concernent les rapports entre chrétiens et musulmans d'auteurs tels que Gilbert DELORME, Maurice BORRMANS ou Jacques JOMIER. Tout en soulignant « Le danger de l'islamophobie », titre donné à l'Introduction, X. TERNISIEN ne cache pas qu'il « serait stupide de nier le danger de la menace islamistes et le risque d'une radicalisation de la communauté musulmane. À cet égard, les succès rencontrés par le courant salafiste dans les banlieues sont inquiétants. L'augmentation des ventes de toute une littérature en provenance d'Arabie Saoudite dans les librairies islamiques est alarmante ». On pourrait y joindre assurément des sites internet tel que www.islam-ouma.com ou www.centreislamique.com, voir « La femme en islam » d'Hani RAMADAN, par exemple.

C'est donc à la rencontre de l'islam concret que nous conduit l'auteur en commençant par « Un vendredi à la mosquée ». À quelques exceptions près ces mosquées ne sont pas les foyers d'un islamisme radical, ce qui ne veut pas dire que plusieurs ne défendent pas un « islam fondamentaliste ». Ces quelque mille six cents lieux de culte sont desservis par un millier d'imams dont 40 % de Marocains, 24 % d'Algériens, 15 % de Turcs, seulement encore 9 % de Français. Si l'influence exercée par le gouvernement marocain n'est pas explicitée, en revanche il est facile de saisir celle de l'Algérie et de la Turquie dans la mesure où ces États rétribuent les imams de leur nation. Les fidèles croyants et pratiquants sont moins nombreux parmi les musulmans nés en France (28 %) que parmi ceux nés ailleurs (44 %). La réislamisation est un mouvement de fond quelles que soient les générations. Les détachés, ceux qui se déclarent « sans religion » sont plus nombreux (9 %) dans la classe moyenne supérieure, la « bourgeoisie ». « Vivre l'islam au quotidien » permet d'évoquer l'affaire des foulards (1989), les revendications qui dépassent largement la seule question du voile. Mais l'auteur ne s'interroge pas sur la diversité de voiles qui ne sont pas tous « islamiques », ce dernier étant d'introduction récente. Alors que plus de 50 % des détenus dans les prisons sont d'origine musulmane, le nombre des aumôniers n'est que de quarante-quatre. Or il y a trois cents aumôniers catholiques. La question de la formation des imams est évoquée, l'influence des Frères musulmans est évidente à Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre).

L'islam de France est une mosaïque. X. TERNISIEN est allé à sa découverte en plusieurs villes. Il en donne des descriptions très vivantes : Marseille, où il y aurait soixante-dix mille Comoriens sur les deux cent mille issus de l'islam ; Montpellier où, dans l'ancien couvent des dominicains, un cheikh libanais attire beaucoup d'étudiants dans une mosquée gérée par les Ahbaches ; Toulouse, Strasbourg, Lille. Un chapitre est consacré à « la nébuleuse des Frères musulmans » : l'Union des organisations islamiques en France puis de France (1990) revendique un statut de minorité reconnue comme telle, sans exiger, dit Gilles KEPEL, l'application de la charia « à l'ensemble de la société, tant que les musulmans sont minoritaires » (À l'ouest d'Allah, 1994). La « galaxie UOIF » s'est investie dans le milieu associatif, elle a des liens avec deux cent cinquante associations. Le Tabligh (Foi et pratique) a droit aussi à un chapitre. Ces « missionnaires d'Allah » pratiquant le porte-à-porte ont été comparés aux Témoins de Jéhovah. Ils contrôleraient une centaine de lieux de culte. Il faut encore compter avec les salafistes se réclamant eux aussi de l'islam rigoriste qui est pour eux celui des wahhabites.

Y a-t-il une répartition des tâches entre les différents courants de l'Islam ? L'annonce du message pour le Tabligh, le champ politique et social pour les Frères musulmans, l'étude des sciences religieuses pour les salafis, la mystique pour les soufis ?

Le panorama serait incomplet si les Turcs avaient été oubliés et, de même, les confréries. Or, ce sont ces dernières qui ont suscité bien des conversions à l'islam, dans la mesure où le courant soufi oriente sa spiritualité vers l'amour. Un chapitre est consacré aux convertis pour qui, souvent, la découverte de Dieu s'est faite dans l'islam. On passe « des convertis intellectuels » aux « convertis de proximité » (p. 194), entre dix-huit et vingt-quatre ans le plus souvent. Il manque à ce bon chapitre une approche des conversions parmi des Antillais ou des migrants africains noirs.

Le chapitre 11 présente quelques personnalités phares et en premier lieu Tariq RAMADAN, devenu la principale référence du courant Jeunes musulmans. La personnalité est controversée. Hassan IQUIOUSSEN « le prédicateur ch'timi » dispute à RAMADAN l'audience des jeunes musulmans. Le « mufti éclairé » de Marseille Soheib BENCHEIKH est peu apprécié et de X. TERNISIEN et des musulmans eux-mêmes (p. 229). Le dernier chapitre est consacré au « long chemin de la consultation ». Au cours de son rassemblement annuel au Bourget, en 2000, l'UOIF se flattera d'avoir demandé et obtenu la suppression du passage, dans le texte soumis à la signature des représentants musulmans, concernant « l'apostasie ». Plusieurs pages sont consacrées à ces laborieuses négociations opposant entre elles les différentes tendances de l'islam. La solution n'est pas encore en vue. Le Conseil français du culte musulman, s'il voit le jour, aura le statut d'une association loi 1901 et non celui des associations culturelles de la loi 1905, dont les exigences sont plus sévères.

Xavier TERNISIEN invite fort justement à ne pas confondre l'islamisme, comme idéologie politique, avec l'adjectif « islamique », qui signifie « ayant rapport à l'islam ». Il considère que « la pire des choses » serait de « diaboliser » lUOIF qui, écrit-il, peut se prévaloir d'incarner « un véritable islam de France » avec le sermon du vendredi prononcé en français. Il fait de l'usage de cette langue le critère de cet islam auquel il oppose l'islam des pays d'origine, décalé par rapport à la réalité française. Encore faudrait-il, sans doute, bien entendre ce qui s'exprime en français le vendredi, ainsi que dans les cassettes ou sur Internet ? Pour l'auteur, « le travail d'un Tariq RAMADAN […] mérite d'être salué et encouragé », ce que contestent cependant des connaisseurs de l'islam aussi avertis que les P. DELORME, JOMIER et BORRMANS. Il s'en prend au « médiatique » Soheib BENCHEIKH « le bon » dans les médias. Il met en garde contre ce qui vient d'Arabie Saoudite. Il demande un dialogue franc et sans concession. L'objectif sera atteint lorsque l'islam pourra enfin être traité « comme n'importe quelle autre religion », ce qui ne laisse pas d'étonner un peu car, y compris dans le quotidien où travaille l'auteur, on ne peut dire que le catholicisme, et souvent même le christianisme, bénéficie d'un traitement de faveur.

Source: www.esprit-et-vie.com


Le problème des idées dans le monde musulman




Dans ce livre magnifique de Malek Bennabi, le penseur algérien présente le problème du monde musulman sous un angle différent.
C'est à travers le monde des idées que Bennabi analyse la décadence des musulmans. Les idées mortes et mortelles sont à l'origine de cette décadence selon l'auteur.
Pour résumer ce livre, il s'agit analyse très rigoureuse de la société, de culture, de la colonisation et de la pensée islamique.

Note: 5/5

Muhammad vie du prophète : Les enseignements spirituels et contemporains



Livre de Tariq Ramadan: Muhammad vie du prophète : Les enseignements spirituels et contemporains


Le Prophète occupe une place unique dans la conscience et la vie des musulmans. Il est celui qui a reçu et transmis le Coran, le Texte révélé qui rappelle la place éminente de l'Envoyé de Dieu, tout à la fois annon­ciateur, modèle et guide. Muhammad n'est cependant pas un médiateur: il ne fut qu'un homme, qui a agi et transformé le monde à la lumière des révélations et des inspirations qui lui sont parvenues de l'Unique, Son Éducateur. Cette humanité assumée, élue et inspirée fait de lui un modèle pour les fidèles d'aujourd'hui.

Humanité et exemplarité : telles sont les deux dimensions à travers lesquelles Tariq Ramadan restitue la figure fondatrice de l'islam. S'appuyant avec une rigueur scientifique sur les sources les plus fiables et les plus reconnues par les savants et traditionnistes musulmans, il s'intéresse non seulement aux étapes et aux actions de la vie du Prophète, mais il accompagne son récit de réflexions critiques et méditatives sur le sens profond de cette vie. Parce qu'il s'attache à démontrer l'actualité de la parole du Prophète, ce livre se présente comme une introduction privilégiée à l'islam.

Le parcours du Messager renvoie aux questions premières et éternelles : sa vie est une invite à l'humilité, à la fraternité, au respect, à la justice et à la paix. Mais aussi, et surtout, à l'amour. C'est pourquoi le souffle de la Révélation porte un enseignement utile à tous les hommes, qu'ils soient ou non musulmans.



Extraits du livre Muhammad vie du prophète:


Expérience tragique ?

Cette solitude tragique de l'Homme faisant face au divin traverse l'histoire de la pensée occidentale depuis la tragédie grecque (avec la figure centrale du rebelle Prométhée face aux dieux de l'Olympe) jusqu'aux interprétations chrétiennes existentialistes et modernes, à l'instar de l'oeuvre de Sören Kierkegaard. La récurrence du thème de l'«épreuve tragique de la foi solitaire» dans la théologie et la philosophie occidentales a associé à cette réflexion la question du doute, de la révolte, de la culpabilité, du pardon et elle a, à son tour, naturellement façonné le discours sur la foi, l'épreuve et la faute.
Il faut néanmoins se méfier des analogies apparentes. Certes les histoires des Prophètes, et notamment celle d'Abraham, sont rapportées respectivement dans les traditions juive, chrétienne et musulmane, de façon semble-t-il similaire. À l'étude, on s'aperçoit cependant que les narrations sont différentes et ne présentent pas toujours ni les mêmes faits ni les mêmes leçons. Ainsi, à celle ou à celui qui entre dans l'univers de l'islam et cherche à rencontrer et à comprendre «le sacré» islamique et ses enseignements, il faut demander de faire l'effort intellectuel et pédagogique de se dépouiller - le temps de cette rencontre - des liens naturels qu'elle/il a pu établir entre l'expérience de la foi, l'épreuve, la faute et la dimension tragique de l'existence.
La Révélation coranique rapporte les histoires des Prophètes et, tout au long de cette narration, elle façonne dans l'esprit et le coeur du musulman un rapport au Transcendant qui ne cesse de mettre en avant la permanence de la communication par l'intermédiaire des signes, des inspirations, et, au fond, de la présence très intime de l'Unique, comme l'exprime si bien ce verset du Coran : «Si Mon serviteur te questionne à Mon sujet : Certes, Je suis proche. Je réponds à l'appel de qui M'appelle quand il M'appelle.» Tous les Envoyés ont, comme Abraham et Muhammad, vécu l'épreuve de la foi, et tous ont, de la même façon, été protégés d'eux-mêmes et de leurs doutes par Dieu, Ses signes et Sa parole.

Livre: Les Grecs, les Arabes et nous

Essai sur l'islamophobie Savante
La peur des Arabes et de l’islam est entrée dans la science. On règle à présent ses comptes avec l’Islam en se disant sans « dette » : « nous » serions donc supposés ne rien devoir, ou presque, au savoir arabo-musulman. L’Occident est chrétien, proclame-t-on, et aussi pur que possible.
Ce livre a plusieurs « affaires » récentes pour causes occasionnelles. Occasionnelles, parce que les auteurs, savants indignés par des contre-vérités trop massives ou trop symptomatiques, s’appuient sur ces dé-bats pour remettre à plat le dossier de la transmission arabe du savoir grec vers l’Occident médiéval. Occasionnelles, parce que les différentes contributions cherchent à cerner la spécificité d’un moment, le nôtre, où c’est aussi dans le savoir que les Arabes sont désormais devenus gênants.
Il est donc question ici des sciences et de la philosophie arabo-islamiques, des enjeux idéologiques liés à l’étude de la langue arabe, de ce que « latin » et « grec » veulent dire au Moyen Age et à la Renaissance, de la place du judaïsme et de Byzance dans la transmission des savoirs vers l’Europe occidentale, du nouveau catholicisme de Benoît XVI, de l’idée de « civilisation » chez les historiens après Braudel, des nouveaux modes de validation des savoirs à l’époque d’Internet, ou de la manière dont on enseigne aujourd’hui l’histoire de l’Islam dans les lycées et collèges.
Il est question dans ce livre des métamorphoses de l’islamophobie. Pour en venir à une vue plus juste, y compris historiquement, de ce que nous sommes : des Grecs, bien sûr, mais des Arabes aussi, entre autres.

Philippe Büttgen est chargé de recherche au CNRS (Laboratoire d’études sur les monothéismes, Paris).

Alain de Libera est directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études et professeur à l’université de Genève.

Marwan Rashed est professeur à l’Ecole normale supérieure.
Irène Rosier-Catach est directrice de recherche au CNRS (Laboratoire d’histoire des théories linguistiques, Paris) et directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études.

La nouvelle islamophobie : le livre événement de Vincent Geisser


Par Saïd Branine

Particulièrement attendu, le dernier ouvrage de Vincent Geisser « La nouvelle islamophobie » vient enfin de paraître aux éditions la Découverte. Nous avons interrogé Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’ études sur le monde arabe et musulman (CNRS), dont le livre analyse avec une grande rigueur tous les mécanismes d’une islamophobie plurielle qui se manifeste en France au niveau d ’une certaine élite politique, intellectuelle et médiatique. Un livre incontournable !

Il y a selon vous une « islamophobie à la française », qui se greffe sur un contentieux historique, au sein duquel l’islam est à la fois considéré comme une religion en voie de francisation et un problème national.

En effet, ma thèse est que la nouvelle islamophobie n’est pas simplement une réactualisation du racisme anti-arabe, anti-maghrébin et anti-immigré. Elle constitue également une religiophobie, en ce sens que c’est bien l’élément religieux qui est visé par une telle haine. Celle-ci s’inscrit dans une forme de paradoxe « à la française » : les Musulmans sont de plus en plus considérés comme des Français « à part entière » et pourtant l’islam est toujours représenté comme une « religion » qui fait problème national. C’est un peu comme si, l’on admettait que les Musulmans puissent être français mais en leur demandant de « diluer » leur religiosité, parce que celle-ci est toujours perçue comme un obstacle au processus d’assimilation. D’où les nombreuses tensions qui peuvent surgir ici et là qui sont moins le fait des Musulmans que du regard de l’Autre : le Musulman tend être identifié à un « bon Français » à partir du moment où il se dépouille des signes de religiosité. Le recours récurrent à des expressions, telles que « Musulmans laïques » ou « Musulmans modérés », est le symptôme de cette crispation nationale. On signifie par là que tous les autres Musulmans sont des « radicaux », « intégristes », voire, plus grave, des « apprentis terroristes ».

En fait, nous sommes encore dans une configuration assimilationniste qui ne veut pas dire son nom. Le paradoxe est que ce sont souvent des élites laïques qui la défendent avec le plus de vigueur : au nom des valeurs de la liberté et de la tolérance, elles expriment leur rejet de tout ce qui serait contraire à la « civilisation française », supposée être « la mère » de l’universalisme. Derrière le rejet du Musulman pointe aussi le rejet du Juif, mais là il y a un tabou. Le rejet du voile est aussi une autre manière d’exprimer le rejet de la kippa. Mais l’on peut relever une nuance de taille : dans le premier cas, on suscite une polémique médiatique et on créé une « commission de réflexion sur la laïcité » ; dans le second cas, on préfère se taire, parce que l’on a peur d’être taxé d’antisémite.

Tout en rappelant la recrudescence des actes islamophobes ces dernières années, vous consacrez plusieurs pages dans votre ouvrage au nouveau visage de la discrimination que vous appelez « l’islamophobie professionnelle ». Comment cette islamophobie se traduit-elle exactement ?

C’est encore un terrain d’enquête totalement vierge. Les études sociologiques sur cette question de l’islamophobie professionnelle sont extrêmement rares. Mon livre lance un appel en ce sens : recenser de manière plus systématique tous les actes islamophobes dans les milieux professionnels, mais aussi dans l’attribution des logements et les espaces semi-publics (entreprises, cafés, restaurants…). Sur ce plan, la France est très en retard sur les Etats-Unis qui, par tradition libérale, accordent beaucoup d’importance et de moyens à la lutte contre l’islamophobie. J’entends par islamophobie professionnelle, la discrimination qui ne vise plus exclusivement les référents ethniques, culturels ou raciaux mais aussi les registres religieux. C’est une discrimination qui s’attaque aux signes visibles de la « religiosité musulmane ».

Toutefois, je différencierais deux registres :

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L’islamophobie professionnelle implicite : elle s’en prend aux porteurs de signes de visibilité religieuse en se réfugiant derrière l’argument de la laïcité. En somme, c’est une islamophobie qui se cache derrière les valeurs dites « universalistes » et qui touche en priorité les jeunes filles et les femmes portant le hijeb. En somme, ces dernières ne sont pas considérées comme « dignes » d’exercer une activité professionnelle dans les espaces publics ou semi-publics, parce qu’elles seraient supposées être porteuses d’une idéologie néfaste et surtout contre-productive : les femmes voilées risqueraient de faire fuir les clients ou les usagers. C’est un argument que l’on entend souvent dans la bouche d’entrepreneurs privés ou de hiérarques de la fonction publique.
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L’islamophobie professionnelle explicite : dans certains secteurs économiques, les musulmans croyants et pratiquants tendent à être considérés comme « dangereux ». Ce sont des salariés « à risque ». Je pense personnellement que ce type d’islamophobie est amenée à se développer dans les prochaines années. Là aussi, il y a un paradoxe : alors que les populations françaises de culture musulmane s’insèrent désormais dans tous les secteurs professionnels (mobilité intergénérationelle), les Musulmans croyants et pratiquants rencontrent de plus en plus de difficultés. C’est un peu comme si on leur disait : dépouillez-vous de vos signes de religiosité et on vous engagera.

Mais, comme je l’ai signalé dans mon livre, l’islamophobie professionnelle est encore peu explorée. Je le regrette en tant que sociologue. Je constate également que les associations musulmanes de France se sont peu investies sur cette question, contrairement à leurs homologues américains qui font un véritable travail sur le plan des enquêtes statistiques et des poursuites judiciaires. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans le communautarisme en criant « au loup », chaque fois qu’un Musulman rencontre des difficultés dans son activité professionnelle. Il ne faut pas verser dans le « martyrisme », en voyant de l’islamophobie partout. Toutefois, les associations musulmanes françaises ont encore beaucoup de travail à faire en ce domaine et cela pourrait devenir un terrain d’action privilégié dans les années à venir, en étroite coopération avec les pouvoirs publics, les centres de recherches et les cabinets d’avocats. En quelque sorte - sans vouloir faire de jeux de mots - il est nécessaire de professionnaliser la lutte contre l’islamophobie professionnelle en se dotant de réels moyens d’investigation qui nous éviteraient de tomber dans le phénomène de la rumeur.

Vous évoquez une autre forme d’islamophobie, celle des médias qui certes n’ont pas créer l’islamophobie mais contribuent à la banaliser en véhiculant notamment une vision sécuritaire des enjeux de l’islam de France.

Dans leur grande majorité, les médias et les journalistes ne sont pas islamophobes. Sur ce plan, il est nécessaire de rester nuancé. Toutefois, l’effet d’ensemble contribue à créer une « atmosphère islamophobe ». La raison principale est que le discours médiatique sur l’islam en général traite presque toujours d’un phénomène particulier : l’islamisme et le terrorisme. C’est un peu que comme si pour parler du judaïsme, on montrait exclusivement les extrémistes religieux d’Israël. Une telle posture est réductrice, voire malhonnête. De plus, j’ai analysé, dans mon ouvrage, ce que j’appelle la « mise en scène de l’islam de France ». D’une manière générale, les articles des journalistes sont plutôt objectifs et modérés mais c’est l’ensemble qui produit un « effet de peur ». Car, en effet, les articles sont souvent accompagnés de photographies qui représentent les musulmans sous les mêmes postures : un groupe en prière, des jeunes filles voilées, des islamistes radicaux, etc. Comme l’écrivait, il y a quinze ans déjà, Franck Frégosi (CNRS-Strasbourg), l’islam n’est perçu médiatiquement qu’à travers le prisme de l’islamisme radical. En somme, les médias participent à renforcer les préjugés négatifs sur l’islam et les Musulmans. Ils se livrent à ce que j’appelle du « prêt-à-clicher islamique », c’est-à-dire à une mise en scène sur des registres catastrophistes. Il faut dire que la « peur de l’islam » se vend bien médiatiquement : elle permet aux hebdomadaires généralistes d’augmenter considérablement leurs ventes dans un contexte de crise économique de la presse française (baisse du nombre de lecteurs-acheteurs).

Sur ce plan, il convient, non plus, de ne pas tomber dans le misérabilisme et le martyrisme. Les Musulmans de France peuvent inverser cette image négative en développant une véritable stratégie de communication et en jouant pleinement la carte de la « transparence », même si celle-ci peut réserver parfois des surprises. A ce titre, une initiative telle que la votre, Oumma.com, me semble très prometteuse pour l’avenir médiatique des Musulmans : c’est devenu un site de référence, très consulté par les chercheurs, les journalistes et les citoyens ordinaires qui désirent s’informer sur l’islam et la vie de la communauté musulmane de France.

A l’exception de quelques initiatives, comme la vôtre, les associations musulmanes souffrent d’un déficit de stratégie de communication. Bien sûr, cela ne résoudra pas tout mais la « bataille » de l’image et du discours me paraît un véritable défi pour lutter contre l’islamophobie.



Vous affirmez que l’islamophobie intellectuelle en France n’a rien « d’intellectuelle » et qu’elle épouse les mêmes formes triviales que l’islamophobie populaire. Comment expliquez-vous justement l’islamophobie de ces intellectuels que vous surnommez les nouveaux gardiens du temple médiatique ?

En effet, mon ouvrage montre que certains intellectuels français ont une grande part de responsabilité dans la diffusion et la banalisation de la nouvelle islamophobie. Cependant, leur islamophobie n’a rien d’intellectuelle en soi. C’est davantage une « intellectualisation » des préjugés populaires sur l’islam. Mais la grande différence avec les citoyens ordinaires réside dans le fait qu’ils disposent de tribunes médiatiques qui leur confèrent une stature. De nombreux intellectuels français ont renoncé à leur fonction critique. Ils s’engouffrent dans les clichés communs sur l’islam et les Musulmans. Aujourd’hui, tout intellectuel qui se respecte doit avoir un discours pré-construit sur l’islam. Pour preuve, le nombre d’ouvrages et d’essais qui traitent de l’islam et des « dangers de l’islamisme », écrits par des auteurs n’ayant pourtant aucune connaissance en ce domaine. L’islam est un objet investi socialement par les catégories intellectuelles et qui leur permet d’exister sur la scène publique. En revanche, la parole des islamologues tend à être marginalisée. Les intellectuels médiatiques n’ont, eux, aucun problème à se faire entendre car ils réduisent la complexité de la situation des musulmans en France à un danger unique : « l’islamo-terrorisme ». C’est bien dans un discours de simplification extrême que certains intellectuels français trouvent aujourd’hui leur légitimité auprès des médias et des institutions publiques. A l’opposé, les discours qui visent à réintroduire une certaine complexité dans la compréhension des phénomènes sociaux sont rejetés. Pour être sûr de passer à la télévision aujourd’hui, il faut jouer sur le fantasme de la « menace islamique », au risque d’être taxé d’angélisme, si vous ne respectez pas cet impératif.



Il existe en France un discours qui tend à établir un lien de causalité entre l’émergence d’un antisémitisme et « l’islamisation des banlieues françaises ». Selon vous, l’antisémitisme devient en fait un prétexte pour parler d’un autre objet : l’islam et ses formes « dévoyées » (l’islamisme et le fondamentalisme).

Dans mon ouvrage, je ne nie pas le phénomène de l’antisémitisme, au contraire. Mais je critique fortement les auteurs comme Alain Finkielkraut. Pierre-André Taguieff ou Shmuel Trigano qui expliquent que l’antisémitisme actuel est produit presque exclusivement par ce qu’ils appellent les « jeunes arabo-musulmans ». Pour ces auteurs, l’antisémitisme serait l’émanation de la xénophobie des banlieues à l’égard des Juifs. Ce qui est grave, c’est que leurs propos accusatoires ne se fondent sur aucune analyse sociologique rigoureuse. Ils fonctionnent principalement sur le registre de la dénonciation et de la généralisation. Pire, la thèse de la « nouvelle judéophobie » tend à nier la spécificité historique du génocide de la Seconde guerre mondiale. En comparant les « jeunes beurs » à des SA ou des SS du parti nazi, on touche à la mémoire et on l’instrumentalise. On en vient à nier la présence encore néfaste d’un antisémitisme d’extrême droite et du négationisme. Pour ces auteurs, la seule obsession est l’islamisme de banlieues. En fait, leurs ouvrages constituent moins des analyses fines sur le renouveau de l’antisémitisme en France (phénomène inquiétant) qu’une mise en scène du péril islamiste.

Ma critique ne me conduit pas à nier l’existence d’un réel antisémitisme dans certains milieux islamistes radicaux. Il existe bien une forme d’« antisémitisme musulman » et il est de notre devoir de sociologue de l’étudier. Je partage d’ailleurs cette opinion avec certains intellectuels musulmans comme Tariq Ramadan qui en appellent à lutter, de manière énergique, contre toutes les formes de xénophobie et d’antisémitisme dans les communautés musulmanes. Mais pour lutter, il faut aussi étudier le phénomène et éviter de tomber dans la dénonciation grossière de type « l’antisémitisme, c’est la faute aux Musulmans ! ». C’est un discours culpabilisant qui est contre-productif.

Vous notez que certains leaders médiatiques musulmans cautionnent les dérives islamophobes d’acteurs non musulmans. Vous qualifiez ces leaders de « facilitateurs d’islamophobie » Pouvez-vous nous définir les différents types d’acteurs de ces facilitateurs ?

C’est peut-être la partie la plus inattendue de mon ouvrage. Je démontre, en effet, que certains leaders qui se prétendent « musulmans » contribuent, aujourd’hui, au développement de l’islamophobie. Pour eux, c’est une rente de situation. Ils jouent à plein sur leur image d’élites musulmanes « modérées » pour faire une carrière dans l’espace public français. Je distingue trois catégories principales.

D’abord, les « Politiques », comme Rachid Kaci de l’UMP ou Malek Boutih du PS, qui instrumentalisent le fantasme d’un « péril islamiste » dans les banlieues pour « se faire une place » dans leur parti. Dire du mal des Musulmans est devenu à la mode chez certains leaders politiques d’origine maghrébine.

Ensuite, les « Religieux », comme Soheïb Bencheickh et Dalil Boubakeur, qui tentent de monopoliser la parole de la communauté musulmane auprès des pouvoirs publics et des médias. Pour se faire, ils accusent les autres associations et organisations musulmanes d’être des islamistes en acte et en puissance. Je pense que ces leaders musulmans autoproclamés ont une très grande responsabilité dans la banalisation de la nouvelle islamophobie. Leur discours sécuritaire sur l’islam contribue à renfoncer l’idée que les Musulmans de France doivent être « matés » et étroitement surveillés.

Enfin, la dernière catégorie, les « Intellectuels algériens éradicateurs » qui ont importé en France leur combat idéologique contre l’islamisme. Le problème de ces intellectuels algériens, c’est qu’ils ont tendance à confondre la situation française avec le contexte de guerre civile en Algérie. Ils transposent leur vécu dramatique en France et tombent souvent dans la caricature, de type « l’UOIF, c’est comme le GIA ». Ce qui me paraît grave, c’est que ces intellectuels algériens ont acquis une véritable audience. Ils jouent à fond sur la culpabilité occidentale pour développer leurs propos haineux à l’égard des Musulmans croyants et pratiquants, comme s’ils étaient les seuls à détenir les clefs d’un « islam modéré ».

Est-il encore possible en France de dépasser tous ces préjugés sur l’islam et les musulmans ?

L’on m’a souvent posé la question et j’éprouve toujours la même difficulté à y répondre. Certains disent que l’islamophobie procède de l’ignorance sur l’islam et les Musulmans. Pourtant, la France est l’un des pays européens où les ouvrages, articles et institutions traitant de l’islam sont les plus nombreux. Personnellement, je ne crois pas que l’islamophobie relève d’un problème de connaissance « objective ». Regardez, l’on constate aussi que certains grands spécialistes, islamologues et/ou arabisants, sont parfois islamophobes. Le progrès de la connaissance sur le fait musulman en général peut contribuer sans aucun doute à faire reculer les clichés et les préjugés xénophobes. Mais, selon moi, c’est la connaissance « pratique » qui compte le plus. Or, celle-ci ne s’apprend pas dans les livres mais dans la rue. C’est tout le paradoxe de la France d’aujourd’hui avec lequel nous devons vivre : mère de l’universalisme, nation d’accueil de nombreux musulmans immigrés et exilés, elle est aussi une terre d’islamophobie. C’est donc sur le long terme que l’on peut espérer voir reculer l’islamophobie « à la française ». Mais cela nécessite une tache de longue haleine, tant du point de vue du travail d’investigation, que des mobilisations citoyennes contre l’intolérance.

Source: www.oumma.com