mardi 23 mars 2010

La france des mosquées de Xavier Ternisien


L'auteur est l'un des deux journalistes qui assurent encore une certaine présence du fait religieux dans le quotidien Le Monde. Les récentes contributions en font, en quelque sorte, un « Monsieur islam » soucieux de conduire des enquêtes de terrain concernant la seconde religion présente aujourd'hui en France, majoritaire dans certains quartiers et, pour ce qui est des « issus de l'islam », à ne pas confondre avec l'ensemble des musulmans croyants et pratiquants, majoritaire ou presque dans plusieurs villes au passé ou au présent industriel, Roubaix, Mulhouse, Montbéliard peut-être ? Devançant sans doute maintenant le protestantisme en Alsace ou dans une ville comme Nîmes.

Les douze chapitres du livre s'appuient sur les enquêtes de l'auteur et la lecture d'une série d'ouvrages mentionnés dans la bibliographie. On n'y cherchera pas (ce n'était pas le propos) les analyses qui concernent les rapports entre chrétiens et musulmans d'auteurs tels que Gilbert DELORME, Maurice BORRMANS ou Jacques JOMIER. Tout en soulignant « Le danger de l'islamophobie », titre donné à l'Introduction, X. TERNISIEN ne cache pas qu'il « serait stupide de nier le danger de la menace islamistes et le risque d'une radicalisation de la communauté musulmane. À cet égard, les succès rencontrés par le courant salafiste dans les banlieues sont inquiétants. L'augmentation des ventes de toute une littérature en provenance d'Arabie Saoudite dans les librairies islamiques est alarmante ». On pourrait y joindre assurément des sites internet tel que www.islam-ouma.com ou www.centreislamique.com, voir « La femme en islam » d'Hani RAMADAN, par exemple.

C'est donc à la rencontre de l'islam concret que nous conduit l'auteur en commençant par « Un vendredi à la mosquée ». À quelques exceptions près ces mosquées ne sont pas les foyers d'un islamisme radical, ce qui ne veut pas dire que plusieurs ne défendent pas un « islam fondamentaliste ». Ces quelque mille six cents lieux de culte sont desservis par un millier d'imams dont 40 % de Marocains, 24 % d'Algériens, 15 % de Turcs, seulement encore 9 % de Français. Si l'influence exercée par le gouvernement marocain n'est pas explicitée, en revanche il est facile de saisir celle de l'Algérie et de la Turquie dans la mesure où ces États rétribuent les imams de leur nation. Les fidèles croyants et pratiquants sont moins nombreux parmi les musulmans nés en France (28 %) que parmi ceux nés ailleurs (44 %). La réislamisation est un mouvement de fond quelles que soient les générations. Les détachés, ceux qui se déclarent « sans religion » sont plus nombreux (9 %) dans la classe moyenne supérieure, la « bourgeoisie ». « Vivre l'islam au quotidien » permet d'évoquer l'affaire des foulards (1989), les revendications qui dépassent largement la seule question du voile. Mais l'auteur ne s'interroge pas sur la diversité de voiles qui ne sont pas tous « islamiques », ce dernier étant d'introduction récente. Alors que plus de 50 % des détenus dans les prisons sont d'origine musulmane, le nombre des aumôniers n'est que de quarante-quatre. Or il y a trois cents aumôniers catholiques. La question de la formation des imams est évoquée, l'influence des Frères musulmans est évidente à Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre).

L'islam de France est une mosaïque. X. TERNISIEN est allé à sa découverte en plusieurs villes. Il en donne des descriptions très vivantes : Marseille, où il y aurait soixante-dix mille Comoriens sur les deux cent mille issus de l'islam ; Montpellier où, dans l'ancien couvent des dominicains, un cheikh libanais attire beaucoup d'étudiants dans une mosquée gérée par les Ahbaches ; Toulouse, Strasbourg, Lille. Un chapitre est consacré à « la nébuleuse des Frères musulmans » : l'Union des organisations islamiques en France puis de France (1990) revendique un statut de minorité reconnue comme telle, sans exiger, dit Gilles KEPEL, l'application de la charia « à l'ensemble de la société, tant que les musulmans sont minoritaires » (À l'ouest d'Allah, 1994). La « galaxie UOIF » s'est investie dans le milieu associatif, elle a des liens avec deux cent cinquante associations. Le Tabligh (Foi et pratique) a droit aussi à un chapitre. Ces « missionnaires d'Allah » pratiquant le porte-à-porte ont été comparés aux Témoins de Jéhovah. Ils contrôleraient une centaine de lieux de culte. Il faut encore compter avec les salafistes se réclamant eux aussi de l'islam rigoriste qui est pour eux celui des wahhabites.

Y a-t-il une répartition des tâches entre les différents courants de l'Islam ? L'annonce du message pour le Tabligh, le champ politique et social pour les Frères musulmans, l'étude des sciences religieuses pour les salafis, la mystique pour les soufis ?

Le panorama serait incomplet si les Turcs avaient été oubliés et, de même, les confréries. Or, ce sont ces dernières qui ont suscité bien des conversions à l'islam, dans la mesure où le courant soufi oriente sa spiritualité vers l'amour. Un chapitre est consacré aux convertis pour qui, souvent, la découverte de Dieu s'est faite dans l'islam. On passe « des convertis intellectuels » aux « convertis de proximité » (p. 194), entre dix-huit et vingt-quatre ans le plus souvent. Il manque à ce bon chapitre une approche des conversions parmi des Antillais ou des migrants africains noirs.

Le chapitre 11 présente quelques personnalités phares et en premier lieu Tariq RAMADAN, devenu la principale référence du courant Jeunes musulmans. La personnalité est controversée. Hassan IQUIOUSSEN « le prédicateur ch'timi » dispute à RAMADAN l'audience des jeunes musulmans. Le « mufti éclairé » de Marseille Soheib BENCHEIKH est peu apprécié et de X. TERNISIEN et des musulmans eux-mêmes (p. 229). Le dernier chapitre est consacré au « long chemin de la consultation ». Au cours de son rassemblement annuel au Bourget, en 2000, l'UOIF se flattera d'avoir demandé et obtenu la suppression du passage, dans le texte soumis à la signature des représentants musulmans, concernant « l'apostasie ». Plusieurs pages sont consacrées à ces laborieuses négociations opposant entre elles les différentes tendances de l'islam. La solution n'est pas encore en vue. Le Conseil français du culte musulman, s'il voit le jour, aura le statut d'une association loi 1901 et non celui des associations culturelles de la loi 1905, dont les exigences sont plus sévères.

Xavier TERNISIEN invite fort justement à ne pas confondre l'islamisme, comme idéologie politique, avec l'adjectif « islamique », qui signifie « ayant rapport à l'islam ». Il considère que « la pire des choses » serait de « diaboliser » lUOIF qui, écrit-il, peut se prévaloir d'incarner « un véritable islam de France » avec le sermon du vendredi prononcé en français. Il fait de l'usage de cette langue le critère de cet islam auquel il oppose l'islam des pays d'origine, décalé par rapport à la réalité française. Encore faudrait-il, sans doute, bien entendre ce qui s'exprime en français le vendredi, ainsi que dans les cassettes ou sur Internet ? Pour l'auteur, « le travail d'un Tariq RAMADAN […] mérite d'être salué et encouragé », ce que contestent cependant des connaisseurs de l'islam aussi avertis que les P. DELORME, JOMIER et BORRMANS. Il s'en prend au « médiatique » Soheib BENCHEIKH « le bon » dans les médias. Il met en garde contre ce qui vient d'Arabie Saoudite. Il demande un dialogue franc et sans concession. L'objectif sera atteint lorsque l'islam pourra enfin être traité « comme n'importe quelle autre religion », ce qui ne laisse pas d'étonner un peu car, y compris dans le quotidien où travaille l'auteur, on ne peut dire que le catholicisme, et souvent même le christianisme, bénéficie d'un traitement de faveur.

Source: www.esprit-et-vie.com


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